Jacques Danois : Son Altesse Royale la Princesse de Hanovre, Présidente de lAMADE, Sest rendue en Afrique, quElle a visitée du Nord-Niger jusquà la pointe de lAfrique du Sud. Elle a voulu voir, Elle a voulu entendre, Elle a voulu regarder de près le travail de lAMADE sur ce continent, et Elle a également voulu se rendre compte de ce que lenfant africain faisait, était, de ce dont il avait besoin. Ce sont donc des propos sur ce safari du cur que nous écoutons ici ; cest la relation dun voyage professionnel, et intéressé par lenfant.
Son Altesse Royale : Un travail de titan, on a parfois limpression de mettre des pansements sur des jambes de bois. On ne sait pas si ce quon fait à long terme sera vraiment utile, mais je crois que cela en vaut la peine pour chaque sourire donné ou redonné à un enfant, pour chaque enfant à qui lon sauve la vie, que lon arrache à la misère, à une injustice, à cette loterie affreuse quest la vie, la naissance. Car on ne choisit pas de naître dans un Etat en guerre, de perdre ses parents, de perdre ses repères, de ne pas pouvoir se nourrir, de ne pas être défendu et protégé On ne choisit pas cela. Donc je crois que si lon arrive à en sauver un, sur les millions qui sont dans le besoin, on a déjà commencé à accomplir son devoir dêtre humain.
J. D. : Est-ce que Vous avez eu limpression de voir lAfrique à travers les enfants, ou bien lavez-Vous vue à travers toute la population ? Est-ce que ce sont les yeux des enfants qui Vous ont le plus ouvert les portes de lAfrique ?
S.A.R. : Rien nest indissociable ; certes avec lAMADE, nous sommes une association qui sefforce de venir en aide, de voler au secours des enfants, mais il faut comprendre que les enfant sont indissociables de leur mère. Et quand la mère nest pas là, il faut essayer de retisser, de reconstruire une chaleur, un cocon. Je pense notamment aux orphelins de la guerre ou aux orphelins du SIDA.
Il faut une structure de protection pour ces enfants, et pour prévenir et protéger dautres enfants il faut nécessairement travailler en amont. Prenons lexemple des désastres climatiques et de la désertification. Comment peut-on pallier à cela ? On se trouve là confronté aux problèmes des adultes, et à essayer de résoudre une injustice qui frappe les parents des enfants. Si lon veut faire un travail efficace, il faut éduquer, soigner et créer un environnement qui soit sécurisant et viable pour les familles.
J. D. : Est-ce que le travail de lAMADE, qui est le Vôtre, que Vous menez de main de maître, que Vous avez envie de faire en Afrique, est-ce un travail de début ou est-ce un travail de reconstruction ? Par exemple, allez-Vous Vous aider des traditions, des coutumes, des civilisations, des cultures africaines, ou bien allez-Vous essayer, grâce aux gens qui travaillent avec Vous là-bas, de faire table rase de tout cela et de commencer quelque chose de nouveau ?
S.A.R. : Cela dépend des endroits, des circonstances, des pays notamment lorsque lon est confronté à des coutumes que je trouverais personnellement difficiles à accepter, sans vouloir faire preuve dimpérialisme occidental, culturel ou médical. Je pense par exemple à lexcision, qui est un cas douloureux. En tant que femme européenne, jaimerais faire table rase de toute cela.
Mais je ne me sens pas le droit moral dattaquer ce problème seule, je pense que cela est un problème des femmes en Afrique. On peut les aider, leur donner des moyens de mener ce combat, mais ce sont elles qui doivent le prendre en main. Et cest déjà fait : il y a un véritable élan qui provient des femmes africaines, pour mettre fin à cette pratique. Dans ce cas bien particulier, jaimerais effectivement voir une table rase, que cela ne se pratique plus, mais ce nest pas à moi ni à notre association darriver avec nos gros sabots, pour dire « cela ne se fait pas ». Confrontés à une autre culture, même si nous ne sommes pas daccord, je ne pense pas que lon puisse moralement simposer de cette manière.
Ceci mis à part, il y a une énergie formidable dans la tradition, dans la culture, dans certaines pratiques ancestrales, ne serait-ce que dans la façon de creuser des puits, consolider des berges, capter le ruissellement des eaux pour remplir la nappe phréatique et accéder à leau plus facilement Il faut utiliser ces énergies-là. Si lon peut être un tel catalyseur et donner des moyens, même financiers, pour permettre dans un temps intermédiaire de fixer une population à un endroit, et les aider à rendre leur environnement moins hostile, il faut le faire. En soutenant lagriculture, en permettant une activité agricole, donc économique, on aide les familles, et de ce fait les enfants.
J. D. : Vous avez parlé des femmes africaines. Si lon divise la population en trois parties, pères, mères et enfants, les femmes sont-elles les plus solides, et celles en lesquelles Vous pensez que se trouve la plus grande espérance ?
S.A.R. : Cela dépend encore des endroits. Il y a des pays à forte tradition musulmane où les femmes nont pas vraiment voix au chapitre. Elles ont peu dautonomie et de pouvoir de décision, quant à léducation de leurs enfants ou à laccès aux soins, prisonnières de lillétrisme ou de certaines coutumes. Je pense à des cas précis, comme par exemple aux solutions qui existent pour les cas de dénutrition grave, qui peuvent être souvent évités. Mais il peut arriver que le poids écrasant de leur culture, de leurs traditions, fait quelles ne sont pas toujours prêtes à suivre certaines consignes, certaines indications pour la santé de leurs bébés.
Cest alors un travail plus compliqué. On a besoin dintermédiaires, de femmes sur le terrain, qui peuvent essayer de les amener à sauver leur enfant. Ainsi, avec la Fondation Princesse Grace, nous avons entièrement financé une école de sages-femmes, dans les camps sahraouis, parce que lon sait très bien que les maris interdisent à leurs femmes, et les pères à leurs filles, daller consulter des médecins hommes. On a donc besoin de médecins femmes, en tout cas de sages-femmes, compétentes et qualifiées, tandis que les matrones traditionnelles, qui sont capables, nont parfois pas eu la formation médicale nécessaire pour faire face à des cas graves. Ce sont des petits projets, mais qui sont particulièrement utiles.
J. D. : Vous avez traversé deux régions en guerre, ou du moins en désordre, le Congo et le Burundi. Avez-vous ressenti quelque crainte ou bien cela Vous est-il apparu tout à fait naturel de Vous promener ainsi sur ce continent déchiré et dangereux ?
S.A.R. : Très sincèrement, je nai pas vraiment ressenti ce poids. Au Burundi, jai senti que le pays était parcouru dun immense soupir de soulagement après toutes ces années, et avait une réelle envie de respirer, de panser ses blessures, et de redémarrer quelque chose. On a ressenti une espèce de joie, en même temps quun certain épuisement, et le constat de tous ces orphelins et de toutes ces populations déplacées.
J. D. : Qui les Africains ont-ils vu en Vous ? La Princesse, la Présidente de lAMADE, ou une maman ?
S.A.R. : Cela, il faudrait le leur demander (rires).
J. D. : Vous aviez amené un de Vos fils avec Vous ?
S.A.R. : En effet, mais comme il est plus grand que moi, je pense que cela na pas marqué les esprits (rires).
J. D. : Et Vous, comment Vous êtes-Vous sentie ? Princesse, Présidente de lAMADE ou mère ?
S.A.R. : Une fois que lon est mère, cest la chose qui vous identifie le mieux, je pense que toutes les mères ressentent la même chose. Une fois que lon est mère, on lest pour toute sa vie ; on ne décide pas de lêtre à un moment, pour ne plus lêtre à un autre moment. Non, on est mère avant tout, même si on a dautres activités quon essaye daccomplir au mieux.
J. D. : Une rencontre importante qui sest produite là-bas, cest celle avec Nelson Mandela. Je ne veux pas être indiscret, mais quels ont été vos sujets de conversation ? Le SIDA en a-t-il été un moment important ?
S.A.R. : Javais déjà eu la joie de connaître Nelson Mandela auparavant à plusieurs reprises, et cétait formisable de le retrouver. Cest un homme merveilleux et tellement chaleureux ; il est bienveillant et une grande bonté émane de lui. Nous avons beaucoup parlé et ri. Nous avons notamment parlé de pays déchirés par des conflits internes ; cette rencontre se situait en fin de Mon voyage, et il était très intéressé, et Ma posé beaucoup de questions sur le Burundi, sur nos projets au Congo, au Niger. Il était notamment très préoccupé et très intéressé par le cas de la drépanocytose, un réél fléau qui échappe à lattention de beaucoup de dirigeants et de beaucoup dorganismes de santé.
Quant au SIDA en Afrique, je ne vous apprends rien en disant que cest un problème énorme, tel que le paludisme, qui demeure encore la première cause de mortalité. Mais on peut voir beaucoup de succès prometteurs et despoir avec la nouvelle génération de médicaments qui sont accessibles.
J. D. : Les gens Vous ont-il paru très conscients de ces dangers ?
S.A.R. : Oui, je pense quaujourdhui un grand coup de projecteur est venu éclairer ces problèmes. Toutes les ONG, les médias, les gens de bonne volonté concernés, tous ont pu constater une prise de conscience et un désir de faire avancer les choses.
J. D. : Une dernière question, Madame. Que gardez-Vous de ce voyage dans Votre tête, dans Vos oreilles ? Est-ce le bruit de la foule africaine dans les villes et les villages surpeuplés, est-ce le chant du Sud ou les tambourinaires du Burundi ?
S.A.R. : Tous ces sons sont certes présents, mais ce que je garde cest tout le travail encore à accomplir. Et peut-être aussi quelquefois le silence dans certaines salles dhôpital, où il y a de telles résignations devant la détresse ; ces mamans muettes devant leur bébé malade ; ces patients en attente dun lit. Cest peut-être ce quil y a de plus terrifiant. Il y a encore un long chemin à parcourir et des énergies à mobiliser.
J. D. : Vous avez vu, je crois, des mamans qui venaient daccoucher ou qui allaient accoucher. Quel est pour Vous lavenir de cet enfant que Vous avez vu naître près de Vous ?
S.A.R. : Je vois beaucoup de bébés qui viennent de naître, que ce soit ici à Monaco ou dans des hôpitaux, un peu partout. On ne peut que souhaiter ce quil y a de mieux, il ny a rien de plus émouvant quune nouvelle vie qui vient sur cette terre. Quant à savoir quel sera son destin, cela reste insondable.
J. D. : Il nous appartient ?
S.A.R. : Rien ne nous appartient.